Domestique ou Sauvage ?
Depuis toujours, l’être humain interagit avec le reste de la biodiversité. Pendant des millénaires, Homo sapiens est à la fois prédateur et proie. Puis advient lentement, progressivement, il y a environ 15 000 ans, un phénomène qui bouleverse littéralement l’histoire de l’humanité, la domestication. En effet, les premiers humains forment alors un partenariat improbable avec un autre animal, le loup gris. Les destins des deux espèces s’entrelacent dès lors. Il semblerait que certains loups plus sociables se soient rapprochés des campements humains pour partager leurs restes, tirant un avantage certain de l’accès à une source de nourriture régulière sans avoir à chasser. De leur côté, les humains se rendent compte eux aussi des avantages de la présence des loups qui repoussent les autres prédateurs ou alertent en cas de danger. Avec le temps, une cohabitation étroite se met en place, un apprivoisement réciproque.
La morphologie et le comportement des canidés changent. Plus dociles et moins craintifs, ils apprennent à lire les expressions des visages humains et progressivement se transforment en chiens. Plus tard, avec la naissance de l’agriculture, les interactions entre humains et chiens s’intensifient et se diversifient. Les humains supplantent la sélection naturelle pour opérer une sélection artificielle, en privilégiant la reproduction d’individus adaptés à leurs besoins. Ces premiers animaux apprivoisés annonçaient-ils déjà l’Anthropocène ?
En tout état de cause, ce tout premier partenariat avec ces loups modifie profondément et durablement notre rapport au monde naturel. La domestication animale devient élevage et plus tard, celle des plantes donne naissance à l’agriculture. Ce tournant crucial dans l'histoire humaine entraîne des changements alimentaires majeurs, de nouvelles techniques de production et une transformation de l'organisation sociale. En contrepartie, la crainte de la nature sauvage reste toujours très ancrée et joue probablement un rôle majeur dans la guerre menée au Vivant. La profonde fracture entre notre civilisation urbaine et le monde sauvage forme un terreau propice au développement d’une certaine biophobie qui s’exprime le plus souvent à l’endroit des insectes, des reptiles, plus largement des milieux naturels. La faune disparaît de plus en plus de l’espace public au profit de l’espace privé. Si le mot sauvage évoque tout un imaginaire de liberté et de nature intouchée, il est aussi souvent symbole de danger, d’inconnu et d’imprévisibilité.
Et si, comme le disait le philosophe François Terrasson, l’homme occidental, maître économique de la planète, avait peur de la nature… et de sa part d’animalité ? Nos relations complexes et divergentes au Vivant selon qu’il est sauvage ou domestique, de rente ou de compagnie, seront au cœur de la cinquième édition du festival Les AnthropoScènes.
Valérie Baran

